Aurélie, celle qui a le slash dans la peau
Depuis quand sais-tu ce que tu veux ?
Suite à une mission en agence, il y a environ 2 ans. En tant que directrice artistique, je me posais beaucoup de questions autour du fait de défendre des valeurs consuméristes. J'ai alors ressenti le besoin de faire quelque chose de plus engagé pour les jeunes filles issues de quartiers populaires. J’avais commencé à travailler sur un projet d’association que j’avais mis en standby, pensant qu’il fallait que je rejoigne d'abord une asso pour voir comment tout ça fonctionnait. C'est comme ça que je me suis engagée plusieurs mois au sein de l’association Ni Putes Ni Soumises, qui a marqué ma jeunesse : cette expérience a conforté mon envie d'aller plus loin dans mon projet. Je suis retournée à la DA et suite à une mission qui s’est mal terminée, cette envie est revenue de manière viscérale. Et je l’ai suivie, naturellement : un truc se passe en toi quand tu réalises que tu es à la bonne place.
Qu’est ce qui a impulsé le changement chez toi ?
Le tournant s’est passé cet été. Quand j'ai décidé de changer de quotidien, je me suis surtout intéressée aux podcasts : je souhaitais récolter des récits audio de jeunes filles venues de tout horizon. L’ambition, c’était d’être le Netflix des podcasts. Je suis même passée devant le jury de French Tech Diversité mais finalement, mon projet n’a pas été retenu. Comme je ne retiens que le positif, je me suis dit que je ne m’étais qu’encore détournée de ce qui m’anime : l’être humain a l’art de dévier de son chemin. Après ça, j’ai voulu m’inscrire au M2 Études sur le genre à Paris 8 (je lis beaucoup de bouquins sur le féminisme noir), et la constitution du dossier d’inscription m’a mis face à l’évidence. Tout était devant mes yeux. Dans la lettre de motivation, je parlais de mon parcours, de mes années de mannequinat, du fait que j’avais souffert du sexisme et du racisme, des clichés qu’on me demandait d’incarner. Je parlais de mon milieu social, des portes que j’avais dû enfoncer… Depuis cette lettre, il n’y a plus de retour en arrière.
Quel est le projet qui t'anime aujourd'hui ?
Mon projet, c’est un média social et féministe qui a pour but d’ouvrir vers d’autres horizons, de créer des ponts par le partage d’expérience, l’échange et le questionnement par rapport au déterminisme social, au conditionnement de race, de sexe et de classe sociale. L’idée, c’est d’encourager les jeunes filles à trouver qui elles sont et de les accompagner vers leurs rêves, leur dire que c’est possible.
Quel est le dernier truc que tu as adoré faire ?
Un shooting photo avec ma mère ce week-end. Je prends des cours de photo-reportage pour pouvoir documenter mon projet de média, et faire entre autres des portraits de femmes afro-descendantes. Dans le cadre de ce cours, je dois constituer un portfolio en me mettant dans la peau d’un photographe. J’ai choisi Seydou Keïta, un photographe malien. Ma mère n’aime pas être prise en photo, je l’ai un peu prise au dépourvu et en fait elle était à fond, elle était même dans la prod ! J’ai beaucoup d’amour pour ma mère, par rapport à tout ce qu’elle a affronté. Elle nous a élevé toute seule et a fait beaucoup de sacrifices pour qu’on puisse sortir de notre condition sociale. Dans ce projet de documenter des femmes, j’ai le sentiment d’avoir démarré avec elle.
Une personne qui t’inspire ?
La première, c’est ma mère. Et sinon en ce moment, Rokhaya Diallo. Je ne connais pas toutes ses prises de positions, mais je trouve qu’elle est brillante. Elle m’a ouverte à pas mal de choses à travers des conférences et débats auxquels j’ai assisté. C’est grâce à elle que j’ai découvert des auteurs comme Bell Hooks, qui a été une vraie révélation.
Es-tu du genre à courir ou à partir à point ?
Je suis plutôt du genre fonceuse. Il y a certaines épreuves de la vie qui font qu’on laisse parfois la peur nous dominer, mais ce n’est plus mon cas. On apprend et on se défait de choses qui nous encombrent, c’est ce qui est beau dans la vie. On n’est pas éprouvé pour rien, il y a vraiment du positif dans tout.
Comment as-tu vécu tes années de mannequinat ?
J’ai été mannequin 9 ans. Non pas parce que j’adorais ce métier, mais parce que je ne savais pas ce que je voulais faire de ma vie. Ce dont je prends conscience, c’est que mon histoire personnelle ne m’a pas autorisée à avoir des rêves. À un moment donné, il n’y a pas de perspective : j’ai fait des études mais sans y croire vraiment. Avec ma soeur, on est métisses mais avec des noms “souchiens” comme diraient certains, Muriel et Aurélie. Quand elle arrivait à des entretiens, on lui disait souvent qu’en fait non, ça n’allait pas être possible. C’est très difficile de se projeter quand on expérimente ça. Quand le mannequinat est arrivé, la seule chose que j’ai vue, c’était l’opportunité de sortir de ma condition de fille prolo, tout simplement. Mais très rapidement, j’ai souffert dans ce milieu là. C’est aussi là que j’ai découvert le métier de directrice artistique.
Un conseil pour 2018 ?
C’est facile de prendre une posture de victime, c’est plus simple. Mais c’est important de prendre conscience qu’on est responsable de sa vie, même dans l’adversité. Il faut arriver à apprivoiser ses peurs, à se faire confiance, pour construire la vie à laquelle on aspire. Je ne dis pas qu’il faut refouler ses émotions, mais il faut vraiment réussir à trouver la force d’avancer. Cette force là, on l’a en soi.