Karen Swami

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Karen Swami

Paris ON. Paris OFF.  Quand on entre dans l’atelier de Karen Swami, on est tout de suite frappé par une sensation d’apaisement. Sur les étagères, on voyage : de la porcelaine blanche au biscuit. Du bleu malt, émaillé d’or. Du Grès noir. Des terres polies à l’agathe. D’autres craquelées. Des céramiques noires enfumées. Du bleu de cobalt. On est sur les terres de Karen Swami, artiste céramiste aux airs de Fanny Ardant, revenue après une carrière dans le cinéma à la passion première de ses 5 ans. Elle ne travaille pas : elle vit.
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Quelle était ta personnalité quand tu étais enfant ?
Curieuse, tenace. Et surtout très manuelle. J’ai toujours adoré bricoler. J’ai commencé la poterie à 5 ans : je faisais des pots pour la confiture, des saladiers, des plats pour le four que ma mère utilisait régulièrement.

Tu savais ce que tu voulais faire plus tard ?
Pas du tout. J'étais bonne élève. Et quand on est bonne élève dans les années 80 en France, on fait une classe préparatoire. A cette époque, les métiers manuels étaient très dévalorisés. J'ai donc suivi le chemin indiqué par mes parents, de mes professeurs, de la société en fait : j’ai fait une école de commerce, l’EAP-ESCP, qui m’a amenée à Berlin, où j’ai travaillé sur des projets concernant la réunification des deux Allemagne. J’étais dans une entreprise qui s’occupait de privatiser les biens de l’Allemagne de l’Est, un travail majeur à cette époque. C’était passionnant d’un point de vue historique, mais le travail en soi ne me plaisait pas.

En fait, à partir de mes études et dans toutes les vies qui m’ont menées jusqu’à ma rencontre avec la céramique, j’ai toujours appris quelque chose sur moi : ce que j’aimais dans ce que je faisais, et ce que je n’aimais pas... Petit à petit et au fil des expériences, j’ai compris que j’étais faite pour un métier plus pragmatique et manuel. Avec du recul, je pense que ma trajectoire professionnelle était déterminée. J’avais simplement eu besoin de vivre quelques expériences avant ça pour m’en rendre compte.

Quels ont été tes différents métiers, et que t’ont-t-il appris sur toi ?
A Berlin, j’aimais le sens de ce que je faisais, mais pas le métier. Rentrée en France, j'ai travaillé comme responsable de programmes immobiliers, souvent sur un chantier avec un casque, métier que j'avais découvert pendant mon excursion allemande. J’aimais mener des projets, partir de rien pour livrer quelque chose, mais rétrospectivement je détestais gérer l’aspect financier. Je suivais en parallèle les cours de l'école du Louvre, mais je n'ai pas fini le cursus, ça m'agaçait car c’était trop théorique à mon sens. Ensuite, j’ai rencontré mon mari avec qui j’ai eu deux enfants, on a repris ensemble une boutique d’antiquités aux Puces de Saint Ouen. Là-bas, j’aimais beaucoup tout ce qui touchait à l’esthétique, mais je ne me sentais pas assez autonome.

Ensuite, une rencontre dans le cinéma m’a permis de rentrer dans la production. J'y ai beaucoup appris. De fil en aiguille, j'ai monté ma société tout en continuant d'exercer des activités diverses et variées dans le cinéma pour finir productrice déléguée. J’y suis restée 13 ans, je voulais me rattacher à une dimension que je croyais artistique, puis j'ai compris que je m'étais trompée. J’ai vécu des grandes et belles choses, mais c’était lourd, humainement. Il y a beaucoup de gestion d’ego.

Avec tout ça, j’ai compris que j’avais besoin de sens, un sens au-delà du metro, boulot, dodo. Et j’ai aussi besoin de me raccrocher à quelque chose d’esthétique et artistique, de partir de rien pour livrer quelque chose de beau.

Et pourquoi s’être tournée vers la céramique ?
En réalité, c’est la céramique qui s’est imposée à moi. C’était en 2010, en revenant d’un film de Claude Miller dont j'avais géré la production exécutive (Voyez comme ils dansent). J’étais tendue humainement. Exténuée. Je me suis demandée : “Qu’est ce que je peux faire pour moi, rien que pour moi ?“

J’ai trouvé par hasard un stage de tournage de céramique. J’aurais pu choisir ça comme n’importe quelle autre activité. Et puis pendant le stage, le prof m’a trouvé des aptitudes certaines. Il m’a dit “tu dois continuer”. Alors je l’ai écouté. J’ai installé un tour de potier dans mon bureau de production. J’ai commencé à tourner, tourner … Le matin, à l’heure du déjeuner, entre deux réunions. Parfois, je menais même des négos au téléphone en tournant ! J’ai commencé par faire un CAP de potier en parallèle de mon job. Et progressivement, j’étais de moins en moins dans ma boite de prod et de plus en plus dans mon atelier.  

Et puis surtout, on a commencé à me demander des céramiques. Moi, j’étais formatée sur “c’est impossible de vivre de mes céramiques” mais mes clients étaient très sérieux. Et la vie m’a bien aidée : elle m’a envoyée Christian Dior pour me commander des céramiques. Alors j’ai fait un dernier film avec Joan Sfar (La dame dans l'auto avec des lunettes et un fusil), et puis j’ai compris qu’il fallait choisir entre les deux. C’est pour ça qu’en 2014, je me suis installée définitivement dans mon atelier.

Aujourd’hui, ça fait 7 ans que je me suis lancée dans la céramique. Et 2 ans et demi que je ne fais plus que ça. C’est la première fois que j’ai cette sensation de “je n’irai plus ailleurs”. J’ai le sentiment d’être à ma place, au bon endroit, sur la bonne route et que je n’ai plus qu’à apprécier la balade.
 
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« J'ai donc suivi le chemin indiqué par mes parents, de mes professeurs, de la société. »
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Depuis ce tournant, comment tu te sens au quotidien ?
Je réalise que je ne dis plus : “C’est bien, mais...”. Je suis contente de me lever le matin, dans tous les cas. Ca pétille. Et plus je fais de la poterie, plus j’ai envie d’en faire. Je ne vais pas au boulot, je vais “vivre”. Mon quotidien tourne autour de ce nouveau métier, c’est un peu mon engagement de vie maintenant. Et ça ricoche sur tout.

Qu’est ce que tu ressens quand tu fais de la céramique ?
Une respiration. C’est aussi simple que ça. L’état d’avant est énervé, l’état d’après est beaucoup plus zen. Ça me fait un bien fou.

Quelle est la philosophie qui t’anime ?
“La pensée crée la matière” : quand l’intention est très forte, alors ce qu’on se souhaite se réalise. C’est un peu comme de la visualisation positive.  Dès lors qu’on a une envie qui n’est pas contredite par une autre, alors les choses peuvent se réaliser telles qu’on les a souhaitées. Avant que je me consacre à la céramique, ma volonté profonde, c’était de trouver ce pour quoi j’étais faite. Mais au même moment, j’étais aussi contredite par une autre volonté : celle qui cherchait la sécurité et la reconnaissance sociale. Tant que ces deux volontés contradictoires co-habitaient, rien ne pouvait se réaliser. Tant que mon ego me disait “ Non, tu vas te casser la gueule et tu vas finir sous les ponts. Continue à travailler dans les paillettes.”, rien n’avançait.

Et puis un jour, ma volonté d’être potière a pris le dessus. J’ai arrêté de chercher la sécurité, j’ai arrêté d’être rationnelle. Et j’ai laissé les choses se faire, en écoutant uniquement ma volonté la plus profonde, celle de vivre de la poterie. En fin de compte, c’était ça le fil conducteur de ma trajectoire : laisser la vie me mener là où je voulais intimement aller sans vouloir sans cesse la freiner. Ça me fait penser à cette phrase de Fanny Ardant dans La Femme d’à côté que j’aime beaucoup : “En réalité, la vie a plus d’imagination que nous.”

Ce changement de trajectoire, c’était une intuition au fond ?
De l’intuition certainement mais je crois surtout au pouvoir de l’intention, de mon intention. C’est un concept imaginé par le philosophe américain Ralph Emerson, très porté sur la visualisation créative et le développement de la confiance en soi.

Par exemple, Macron voulait être président. Il avait peut-être l’intuition qu’il allait le devenir mais c’est bien son intention qui a fait qu’il l’est devenu. C’est quelque chose de quasi énergétique, transcendental. Pour moi, j’avais bien-sûr cette voix qui me disait que je devais me lancer une fois pour toutes et vivre de la poterie. Alors j’ai écouté mon intuition le jour où j’ai décidé de le faire, le jour où j’ai eu l’intention de devenir céramiste. Et c’est bien dans ce type de mouvement qu’on change de trajectoire.
 
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« En réalité, la vie a plus d’imagination que nous. »

Son kit slash

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    Oasis de Roberta Flack, que j'écoute à fond dans l’atelier.
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    La côte bretonne avec l’ocean et l’air iodé qui remet les idées en place.
     
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    J'aime beaucoup 'Les essais' de Montaigne.
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    Je sèche : je suis plutôt ancrée dans le monde physique !
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    Des cours ? Oui, mais dans le monde réel et surtout ceux de poterie !

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By Eve