Bonjour Delphine, d’où viens tu ?
J’ai grandi en banlieue à Créteil. A 20 ans, j’ai tout quitté et je suis partie étudier à New-York. J’avais besoin de prendre mes distances. Je ne me suis jamais sentie tout à fait à ma place à Créteil. J’avais 4 copains qui voulaient bosser dans le cinéma et je passais mon temps à leur dire : Quand est-ce qu’on se casse ? Je ne savais pas ce que j’allais faire à New-York ni où j’allais dormir, mais il me fallait un truc assez radical, respirer était devenu compliqué.
Pourquoi ?
J’ai eu conscience très jeune de la brièveté de la vie. Sans doute parce que mon premier petit copain est décédé quand j’avais 24 ans. Cet accident de vie m’a donné un instinct de survie très fort. L’envie de me sentir vivante.
Comment as-tu surmonté cette épreuve ?
La première année a été épouvantable. L’absence. L’absence.
Mes parents m’ont envoyée en panique chez ma grand-mère que j’adorais. Elle a ouvert une bouteille de champagne. Elle m’a raconté sa vie, les guerres, les embûches. Et puis elle m’a dit : « Delphine, c’est épouvantable ce qui t’arrive, mais tu as 24 ans, et tu as deux choix : soit toi aussi tu décides d’arrêter de vivre parce que c’est insupportable. Soit tu constates qu’en fait non, tu as encore envie de vivre, même si c’est difficile à assumer. Et si c’est le cas, pour vivre, il faut être debout. » J’y ai beaucoup pensé, et un matin je me suis dit : Moi, je n’ai pas envie de mourir . Encore aujourd’hui c’est une plaie béante, mais ça fait partie de ma vie. Parce qu’aujourd’hui, à 45 ans, je réalise que ça m’a nourrie et fait gagner en profondeur.
C’est à dire ?
Je ne me sens jamais obligée de subir une situation. Parce que je ne veux pas perdre du temps à subir. Je ne suis pas quelqu’un de très académique : je me suis séparée trois fois. J’ai plein d’amies qui ne sont pas heureuses en amour ou au boulot mais qui n’osent pas, qui n’ont pas le courage. Moi, je ne vais pas rester avec mon mari seulement parce qu’on est mariés et que c’est conventionnel. J’ai tout le temps besoin de sentir que j’avance, que je nourris, que je me nourris. Je ne veux pas passer à côté de ma vie par flemme ou par peur.
Et alors cette vie, tu en as fait quoi ?
Je suis partie à New-York où j’ai fait mes études. En rentrant en France, tout à fait par hasard j’ai fait une mission pour Agnès B, j’y suis devenue responsable du développement Asie ( à 24 ans ), puis directrice de collection chez Saint Laurent. Au bout de 20 ans passé dans la mode, j'ai su que je n’étais plus à ma place. Mon métier me plaisait, les gens avec qui j’étais me plaisaient. Mais je n’avais pas de passion pour la mode : j’aurai pu faire tout autre chose, ça m’aurait autant plu. Pour moi, l'essentiel, c'est pas le métier, mais l'équipe avec qui on travaille. Je ne suis pas un loup solitaire, je suis un chien de meute : j'aime bosser avec des gens, échanger, motiver mes équipes... j'aime réveiller l'envie. C'est pareil dans ma vie personnelle : j'ai une famille recomposée interminable, parce qu’à chaque fois que j’ai aimé un homme il avait des enfants, que j’ai embarqués comme étant les miens. Et j'aime les emmener voir des expos, sortir, découvrir … J’ai envie qu’ils aient envie, parce que je pense que le désir est le seul vrai moteur dans la vie.