Comment se sont passés les débuts ?
Quand mes deux amis m’ont proposée de les rejoindre pour lancer ce projet, je leur ai dit qu’ils étaient fous, que je voulais un « vrai » travail. Puis j’ai très vite changé d’avis en réalisant que ce projet avait beaucoup plus de sens que tout ce que j’avais fait jusqu’ici. Puis on a lancé
Singa, on est parti de rien, on n’avait pas d’argent, on bossait dans des Starbucks, on enchainait les pizzas et les nuits blanches. Tout s’est passé très vite, on a eu le statut d’entrepreneurs sociaux, on a été bien accompagnés par des organisations comme Ashoka ou La Ruche.
Comment as tu vécu ce changement professionnel ?
Pour moi, devenir entrepreneure a été une vraie découverte de moi-même : je ne pensais pas que je serais capable d’être créative, surtout dans le domaine social. Au début c’était difficile, j’avais tendance à copier, et puis finalement l’innovation est passée par la rencontre : on a tout simplement demandé aux principaux intéressés ce dont ils avaient besoin, et on a trouvé ensemble ces idées d’outils qui permettent de les connecter entre eux. CALM ( « Comme à la maison » ), par exemple, c’est une sorte de AirBnB qui met en relation des réfugiés avec des particuliers qui ont des logements.
Et puis, réaliser qu’on peut vraiment changer les choses en étant créatif, c’est une vraie satisfaction. A titre personnel, je suis beaucoup allée dans des manifs, mais je n’avais pas le sentiment que ma colère changeait quelque chose. J’ai réalisé que ma créativité le pouvait.
Et comment ?
Dans le domaine social, il ne faut pas avoir peur de sortir des cases, de s'éloigner des discours d'apitoiement et d'écrire d'une nouvelle manière sur les réfugiés, comme avec cet article de Guillaume Capelle, co-fondateur de Singa,
qui fait un parallèle entre la vie de Superman et celle d'un réfugié.
Et puis aussi, de se rendre compte que ce qui semble le plus fou est parfois le plus évident, comme cette idée de créer une appli qui propose de l'accueil chez l'habitant ou celle de partir en vacances avec une marionnettiste syrienne rencontrée seulement quelques minutes avant.
Tu penses que l’image qu’on a des réfugiés doit changer ?
Oui, améliorer l’inclusion des réfugiés c’est d’abord changer leur image en utilisant un autre vocabulaire : souvent on associe « réfugié » à « immigration », « intégration », « misère ». Or une personne réfugiée n’a pas forcément uniquement besoin qu’on l’aide à faire des papiers, elle a besoin d’amis, de connaissances, de tuyaux pour trouver un appart… On voulait vraiment enlever cette dimension bénéficiaire/bénévole, en disant qu’on était tous au même niveau : pourquoi faire la différence entre un Américain expat venu bosser en France et une personne venue y trouver refuge, qui était médecin ou avocat dans son pays ?
Les réfugiés sont des gens qui se sont battus pour leur liberté, pour leur autonomie, pour leur travail, pour leur orientation sexuelle. Des gens qui ont connu une répression terrible et qui ont une capacité de résilience inouïe. Je suis très admirative de ça : pour moi, ce sont eux les Super-héros.