Alice Barbe

Image de fond

Alice Barbe

Il y a les slasheuses qui ont plusieurs vies, celles qui changent de vie, et celles qui aident les autres à en changer. On a voulu rencontrer une femme de cette troisième catégorie : Alice Barbe, la co-directrice de Singa, un réseau d’aide à l’intégration des réfugiés. Jeune entrepreneuse sociale en talons, ex candidate politique,  militante féministe, et future maman, Alice nous raconte comment on peut aussi changer les choses en bas de chez soi.
Image de fond
Bonjour Alice, l’entreprenariat social, c’était une vocation ?
Pas du tout.  Je n’aurais jamais cru que j’allais devenir entrepreneure. J’ai grandi du côté de Béziers et j’ai fait des études de Sciences Politiques. Ensuite je suis partie à Montréal travailler pour les Nations unies, puis au Mexique pour faire de l’humanitaire. En gros, je suivais le parcours classique pour devenir fonctionnaire internationale. Toutes ces expériences étaient enrichissantes,  mais pourtant j’avais l’impression d’être une petite goutte d’eau.

 Pourquoi ?
En fait, je me demandais pourquoi j’étais à l’autre bout du monde alors que j’aurais pu aider en bas de chez moi. Ca me rappelait ce que ma mère m’avait dit quand j’avais 18 ans. Comme tous les ados, je voulais changer le monde, alors je lui avais demandé si je pouvais partir en Afrique pour travailler au sein d’une association humanitaire. A cette époque, mon père était gravement malade. Et ma mère m’a dit : « La misère n’est pas que là-bas, elle est aussi dans ta rue, dans ta maison, et tu devrais peut-être commencer par faire changer les choses ici ». J’ai pris conscience que c’était à mon échelle que je pouvais changer les choses. Dans un environnement que je connais et que je peux améliorer.

Et c’est ce qui s’est passé ensuite ? 
 Oui, quand je suis rentrée en France : deux copains m’ont proposé de les rejoindre pour monter une ONG pour aider l’intégration des réfugiés.
 Alors on a imaginé un mouvement citoyen à l’image de notre génération : pas contestataire, pas râleur, mais acteur. Plutôt que de dénoncer les problèmes, on a voulu trouver de nouvelles solutions, celles sous notre nez : le digital, l’économie sociale et solidaire. On a lancé Singa, un réseau qui crée des outils web et des applications pour mettre en contact les réfugiés avec les Français. Pas dans la logique du « Je donne-tu reçois » mais dans celle de l’échange : de services, de talents, de savoir-faire. Par exemple, on va mettre en relation un comptable de KPMG avec un réfugié qui était comptable dans son pays. Ils vont bosser ensemble, ou devenir potes, ou il va lui donner un tuyau pour un logement… Le réfugié pourra ainsi mieux appréhender les logiciels de compta, apprendre le français, se sentir moins perdu en France parce que son seul interlocuteur ne sera pas Pôle Emploi. Ou encore, un réfugié qui aime le yoga, on le pousse à créer un cours et on le met en contact avec des élèves qui ont la même passion. C’est un peu comme Tinder pour l’aspect « matching ».
Image de fond
« J’ai pris conscience que c’était à mon échelle que je pouvais changer les choses. »
Image de fond
Comment se sont passés les débuts ?
Quand mes deux amis m’ont proposée de les rejoindre pour lancer ce projet, je leur ai dit qu’ils étaient fous, que je voulais un « vrai » travail. Puis j’ai très vite changé d’avis en réalisant que ce projet avait beaucoup plus de sens que tout ce que j’avais fait jusqu’ici. Puis on a lancé Singa, on est parti de rien, on n’avait pas d’argent, on bossait dans des Starbucks, on enchainait les pizzas et les nuits blanches. Tout s’est passé très vite, on a eu le statut d’entrepreneurs sociaux, on a été bien accompagnés par des organisations comme Ashoka ou La Ruche.
 
Comment as tu vécu ce changement professionnel ? 
Pour moi, devenir entrepreneure a été une vraie découverte de moi-même : je ne pensais pas que je serais capable d’être créative, surtout dans le domaine social. Au début c’était difficile, j’avais tendance à copier, et puis finalement l’innovation est passée par la rencontre : on a tout simplement demandé aux principaux intéressés ce dont ils avaient besoin, et on a trouvé ensemble ces idées d’outils qui permettent de les connecter entre eux. CALM ( « Comme à la maison » ), par exemple, c’est une sorte de AirBnB qui met en relation des réfugiés avec des particuliers qui ont des logements.
Et puis, réaliser qu’on peut vraiment changer les choses en étant créatif, c’est une vraie satisfaction. A titre personnel, je suis beaucoup allée dans des manifs, mais je n’avais pas le sentiment que ma colère changeait quelque chose. J’ai réalisé que ma créativité le pouvait.
 
 Et comment ?
 Dans le domaine social, il ne faut pas avoir peur de sortir des cases, de s'éloigner des discours d'apitoiement et d'écrire d'une nouvelle manière sur les réfugiés, comme avec cet article de Guillaume Capelle, co-fondateur de Singa, qui fait un parallèle entre la vie de Superman et celle d'un réfugié.
 Et puis aussi, de se rendre compte que ce qui semble le plus fou est parfois le plus évident, comme cette idée de créer une appli qui propose de l'accueil chez l'habitant ou celle de partir en vacances avec une marionnettiste syrienne rencontrée seulement quelques minutes avant.
 
Tu penses que l’image qu’on a des réfugiés doit changer ?
Oui, améliorer l’inclusion des réfugiés c’est d’abord changer leur image en utilisant un autre vocabulaire : souvent on associe « réfugié » à « immigration », « intégration », « misère ». Or une personne réfugiée n’a pas forcément uniquement besoin qu’on l’aide à faire des papiers, elle a besoin d’amis, de connaissances, de tuyaux pour trouver un appart… On voulait vraiment enlever cette dimension bénéficiaire/bénévole, en disant qu’on était tous au même niveau : pourquoi faire la différence entre un Américain expat venu bosser en France et une personne venue y trouver refuge, qui était médecin ou avocat dans son pays ?
Les réfugiés sont des gens qui se sont battus pour leur liberté, pour leur autonomie, pour leur travail, pour leur orientation sexuelle. Des gens qui ont connu une répression terrible et qui ont une capacité de résilience inouïe. Je suis très admirative de ça : pour moi, ce sont eux les Super-héros.
Image de fond
« Je n’avais pas le sentiment que ma colère changeait quelque chose. J’ai réalisé que ma créativité le pouvait »
Image de fond
Quel conseil donnerais tu à quelqu’un qui veut changer les choses à son échelle ?
De faire ça dans un domaine, un milieu où il se sent à l’aise. Moi par exemple, j’adore rencontrer du monde. Alors quand j’organise une fête ou un diner, je mets sur Facebook, « Portes ouvertes chez moi ! », et il y a plein de personnes qui ne se connaissent pas qui débarquent, des petits groupes, des étudiants syriens, des soudeurs soudanais, des bobos parisiens, des militants politiques, des féministes… Tous se retrouvent chez moi et on fait la fête toute la nuit. Tout le monde peut mettre sa musique, il y a une équipe qui cuisine. Il y a un flux qui se fait, un lieu où il y a du passage toute la nuit, et où je sais qu’une cinquantaine de personnes vont se rencontrer. Pour moi c’est un exemple concret de ce que je peux faire à mon échelle, car grâce à ces soirées, certains réfugiés ont trouvé des logements, du travail, des investisseurs pour leur projet.
Juste après les attentats, j’ai fait une soirée chez moi pour que les gens ne se sentent pas seuls. Il y avait un garçon qui dormait dans la rue vers République. Avant, il était infirmier en Guinée. Il  a rencontré une amie, et elle lui a trouvé un logement. Grâce à son logement, il a trouvé un boulot. Aujourd’hui, il est traiteur et bénévole à la Croix Rouge. Et tout va bien pour lui.  Tout fonctionne comme ça, par vases communicants.
 
Tu as des projets pour l’avenir ?
On lance en septembre un espace qui s’appelle Kiwanda. C’est un espace qui va être l’incarnation de l’ « inter » : interconnection, interpreneuriat, interface. C’est construitre AVEC et TOUS. On veut que ce lieu soit à la fois un incubateur, un espace de co-working mais aussi un laboratoire des synergies, pour réfléchir ensemble à des solutions innovantes aux enjeux actuels, grâce au digital, au web, à l’évènementiel.


Et toi, en quoi le projet Singa t’a changée ?
Singa me permet chaque jour de me dépasser. Sortir, rencontrer des personnes que je n’aurais jamais rencontrées autrement, faire des choses surréalistes comme organiser des concerts ou des expos, parler des langues dont j’ignorais l’existence, être inspirée par des personnes ou des actions insoupçonnées… C’est un très bon argument pour se lever le matin de se dire qu’on va vers l’inconnu. C’est à la fois le sentiment de m’enrichir et de contribuer positivement à la société, et surtout de planter des graines que je vois grandir petit à petit et que n’importe qui peut s’approprier. C’est le concept de sérendipité: on pense créer quelque chose et on se surprend soi-même du résultat quand ça aboutit.
Image de fond
« C’est le concept de sérendipité: on pense créer quelque chose et on se surprend soi-même du résultat quand ça aboutit. »

Retrouvez les interviews des slasheuses avec

By Eve